Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/85

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ANDRÉ.

Je m’en garderais bien !… Ya-t-il rien de plus sot et de plus borné au monde que : « Je vous aime » ! Que dire après ? C’est fini… Non, ce qui est varié et profond, c’est ce qu’on ne dit pas, c’est l’insignifiance des paroles à qui nous faisons porter tout notre pauvre petit infini… Il y a mille fois plus d’amour dans certaines phrases banales de conversation que dans : « Je vous aime »… Écoutez, en ce moment vous pianotez trois mesures de musique et personne au monde ne peut savoir ce que j’y mets d’amour dans ces trois mesures… (Il fredonne.) Comme c’est vous, cet air-là… (Il fredonne plus doucement.) Et c’est la vie, qu’on puisse entrer dans un salon et y entendre : « Voulez-vous du café ? » sans se douter que ce « Voulez-vous du café ? » veut peut-être dire des choses charmantes ou infinies…

GYSÈLE.

Vous êtes drôle !

ANDRÉ.

Je ne vous dis pas des phrases aussi poétiques pour que vous me répondiez : vous êtes drôle. C’est vrai, ça !… Écoutez, je vous attendrai demain toute la journée… je bouleverse exprès pour vous des tas de choses pressées, des affaires urgentes… Je ne reviendrai plus là-dessus… mais vous avez compris ?

GYSÈLE.

Serez-vous en négligé, avec des poignets de dentelle et un bracelet d’or ?

ANDRÉ.

Je ne plaisante pas. C’est très sérieux.

GYSÈLE.

Je le vois bien.

ANDRÉ.

Vous êtes adorable. Et je vais être très malheureux.

GYSÈLE.

Il vaut mieux que nous ne nous revoyions pas.