Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 3, 1922.djvu/195

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LA MASLOWA, se détachant avec violence.

Ah ! maintenant, je suis heureuse, heureuse, heureuse… j’ai de quoi pour toute une vie… Adieu, mon cœur, allez vous-en !

NEKLUDOFF, ému.

Mais c’est affreux !… pas maintenant, pas encore… Écoute…

LA MASLOWA.

Si, maintenant, maintenant… Vous ne reviendrez jamais au convoi… il ne faut pas… Vous allez repartir de suite… en Russie. Et si vous reveniez, je refuserais de vous voir… Et puis, et puis, voyez-vous, mieux vaut tout de suite… je n’aurais peut-être plus la force demain… C’est un grand jour pour se quitter. Adieu Dimitri, et merci pour tout.

NEKLUDOFF.

Non, pas merci ! Ah ! Katucha, je ne sais lequel de nous deux doit le plus à l’autre !… C’est en me penchant sur l’affreuse blessure que je t’ai faite que j’ai compris la vie et maintenant je voudrais embrasser les mille douleurs qui t’accompagnent sur la route… oui, j’ai compris que ce n’était pas par la volonté de Dieu qu’ils périssent, tes compagnons de route, et que c’est une petite chose bien simple que d’aimer, et c’est cela pourtant, rien que cela, et les hommes ne le savent pas… Ahl c’est moi qui dois te remercier, Katucha, car désormais j’emporte cette science, et c’est toi qui me l’as apprise ! C’est moi qui te dois tout.