Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 3, 1922.djvu/393

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son attendrissement de tout à l’heure, ses larmes ?

(Il est presque indigné.)
RYSBERGUE.

Non pas, c’est inconscient !… Et qui sait même, peut-être est-elle sincère… Sait-on ? (Il s’assied nerveusement sur le bord de la table.) Peut-être ne se souvient-elle déjà plus… car c’est effrayant, nous l’avons éprouvé nous-mêmes, ce don d’oubli total ! C’est comme les bêtes, oui, — elle trouvait la comparaison juste, dans son délire — qui donneraient leur vie, se haussent jusqu’au plus complet sacrifice, pour défendre leurs petits ; puis qui, cet instinct apaisé, ne se souviennent plus de rien, et subitement, en un jour, passent du renoncement le plus fou à l’indifférence la plus morne ; c’est fini, la fonction est terminée. À une autre !… Vois-tu, j’ai réfléchi beaucoup pendant deux ans de solitude. Des mots qu’elle disait me revenaient à la mémoire, me tarabustaient sans cesse. « Ma fonction envers vous est terminée… » clamait-elle, et j’ai compris, j’ai compris la vérité. Elle avait raison. La femme n’est pas un être indépendant et libre comme nous, elle est asservie à des lois de nature qu’aucune civilisation n’a encore abolies et n’abolira jamais. Elle est une succession de fonctions, et absolument contradictoires. Toutes ces fonctions, la société est arrivée à peu près à les concilier, par des époques fixes et observées, de mariage, d’évolution… Ça va tant bien que mal… ça va… Mais qu’il survienne, dans cette évolution, une simple erreur