Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 4, 1922.djvu/147

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GRÂCE.

Bien. Alors, je sais ce qui me reste à faire. Vous avez suivi vos instincts d’homme en voulant vous insinuer de force dans ma pensée… Vous n’avez pas réfléchi que, cette fois, vous commettiez une action affreuse…

LECHÂTELIER.

Oh !

GRÂCE, (avec une véhémence subite.)

Mais, malheureux, vous ne comprenez donc pas que si ce que vous désirez arrivait, si vous réussissiez un jour à vous faire aimer de moi, vous ne comprenez donc pas que je serais une femme perdue !…

LECHÂTELIER.

Qu’entendez-vous par ce mot ?…

GRÂCE.

Mais perdue, littéralement perdue !… Vous ne comprenez donc pas que le jour où Claude ne serait plus tout pour moi, le jour où cet homme s’effacerait de cet esprit, ma vie serait du coup anéantie tout entière !… Même pour une femme plus vulgaire que moi, réfléchissez à ce qui lui resterait à faire. Quoi ?… Revenir dans sa famille ? Quelle vie ! Se laisser crouler, oui, c’est tout !… Devenir la femme qui se donne ou se vend, maîtresse ou fille galante… Et ce n’est là qu’un bilan que je dresse pour l’être vulgaire qui pourrait s’en satisfaire… Mais moi !… Ah ! il y a plus !… La détresse morale d’un être comme moi, qu’en faites-vous ?… l’horrible détresse d’avoir joué toute sa vie sur une erreur d’un jour, d’un jour !… de s’être crue