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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 5, 1922.djvu/258

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CHARLOTTE.

Oh ! tu viendras… tu viendras à Grasse… de temps en temps. Il faudra t’installer à l’hôtel. Ce n’est pas possible que nous soyons séparés par des lettres… je veux que tu voies nos jardins où je pensais tant à des choses que tu as toutes réalisées. Ah ! certains soirs où l’on sent le fond de son âme, dans les amandiers, dans les violettes, des moments de printemps tristes, derrière les murs, au milieu des oliviers humides de cinq heures. J’aurais voulu tenir quelqu’un entre mes bras, comme ça, caresser, caresser surtout un être caressable. Et, maintenant, le voilà réalisé, ce rêve !… Voilà… je peux poser ma tête sur un veston d’homme, sans dégoût, ta vue ne m’offusque pas comme celle de tous les gens que j’ai l’habitude de voir là-bas… je peux mettre tes doigts contre ma joue, ils sentent la cigarette orientale et le cuir de Russie, ta peau est dorée comme le raisin muscat. Ah ! j’ai honte ! d’oser dire tout cela… tu as tué au fond de moi cette chose qui s’appelle la pudeur.

ARTANEZZO.

N’aie pas honte, tu me dis les paroles, au contraire, les plus exquises, les plus adorables, et dont un homme ne peut qu’être tout à fait touché.

CHARLOTTE.

Oh ! Tant pis ! Je voudrais m’en aller un mois avec toi. Mais, ce n’est pas possible, évidemment. Je voudrais voyager à tes côtés, en wagon… Tu as vu beaucoup de pays ?