Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 6, 1922.djvu/140

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petite parole-là !… Il le faut, il le faut, ou je serais perdue !… Avec ça, tu comprends, je vais pouvoir passer le pont… le pont de la douleur… si long qu’il soit. Autrement, je crois bien, Marcel, que je mourrais tout à coup… Le vide tout noir, là, devant soi… le trou… brrr… Tandis qu’ainsi, avec la compagnie au moins de cette attente, avec l’idée qu’on se reverra tout de même un jour… car c’est fatal, c’est sûr, c’est sûr, on se retrouvera… eh bien, alors, j’aurai du courage ! Tout ne sera pas mort… il y aura le point fixe, là-bas… Illusion pour toi, peut-être, réalité pour moi ! Cette idée va s’ancrer en moi, qu’on vieillira peut-être ensemble, que nous serons là, tous deux, tout vieux… que nous aurons notre vieillesse comme nous avons eu notre jeunesse… que je serrerai tes mains dans les miennes, avant de partir pour le grand voyage… Cela me fera même tenir à ma propre vie… cela me forcera à me soigner, à ne pas me laisser aller comme celles qui ont renoncé complètement… afin que tu me retrouves encore un peu ressemblante à ce que j’ai été, quand nous vivions ensemble !…

ARMAURY, (pleurant, la tête dans ses mains.)

Ah ! Fanny, tout ce que tu dis là, tout ce que tu dis là… c’est immense !…

FANNY.

Pas un mot de commisération, je t’en prie, pas un mot, ou je n’aurai même plus la force de me lever et de m’en aller ! Et Dieu sait ce qu’il va m’en falloir de force ! Je vais tâcher de m’imaginer… n’importe quoi… que tu es parti pour un long tour du monde. Il y a des femmes… tiens, Thérèse Vidal, par exemple… dont les maris sont en expédition très loin, durant des années… Elles