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LUI, (avec un soupir las.)


jolie…Moi qui m’étais tant promis de ne pas
prononcer son nom près de vous, même tout bas !
C’est un mot noir et dont je suis débarrassé.
Il ne faut pas qu’il trouble en rien cette soirée
très douce, et toute emplie d’un charme inespéré.
Oui, croyez-moi, le cœur guérit. Évidemment
c’est un travail minutieux et persistant
qu’une métamorphose au fond d’une mémoire !
Cela se fait lentement… on ne saurait croire
combien s’exalte et vibre à travers les années,
un morceau de parfum si lentement fané !…
Mais, c’est fini… c’est arraché… de la peau morte !…
Je l’ai très bien senti en poussant cette porte
tout à l’heure…

ELLE.


tout à l’heure…Vraiment, comme un homme qui a
souffert a la voix douce !… Henri, mettez-vous là…
J’ai fait l’appartement obscur. Je sais fort bien
que vous n’aimez que les lumières un peu sombres
et j’ai fait diminuer les lampes, afin
de vous plaire. Parlez-moi dans cette pénombre…

(Un temps. Puis, souriante, tentée.)


d’elle !

LUI.


d’elle !Non !… Plus… plus cela, je vous prie… assez !
Ce souvenir n’est pas de saison… Il s’estompe
dans vos yeux, meurt dans votre voix. Je l’ai chassé.
Il est, je ne sais plus, là où je l’ai laissé…
dans votre rue… Comment voulez-vous qu’il revienne
parmi ce mobilier joli, gai, ce bien-être
très rassurant, fait de précision moderne,
si encombré d’amour qu’on ne sait où se mettre
pour ne point chiffonner la place où tout à l’heure
on s’aimera — car nous allons bien nous aimer,