Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 6, 1922.djvu/231

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Ah ! disparue enfin !… Oui, seul ! Allégement
de ne plus tout à coup sentir sur ses épaules
peser ta croix de chair vivante ! C’est calmant
d’être seul !…
d’être seul !…Mais… cependant… voyons… Qui me frôle ?
Non !… rien… Ah ! si… là-bas… qu’est-ce donc qui renaît ?
Qu’est-ce ?…

(La vision maintenant, dans la solitude et l’obscurité, se remet à rayonner mystérieusement et peu à peu. Elle est près de la fenêtre, dans le cadre de la baie de lumière. Elle luit comme une clarté métallique, froide et phosphorescente.)


Qu’est-ce ?…Ah ! te revoilà !… la grande insoupçonnée !
Mauvais fantôme, qui viens rôder, qui surveilles
jalousement le front fiévreux dont tu es née.
Image ! merveilleuse image de l’aimée,
que mon regard projette et qui vibre aux oreilles,
obsession qui remplis l’ombre et t’es dressée
soudainement, dans ton mystère, si pareille
au passé ! Souvenir, souvenir détesté,
que personne ne voit, n’entend, ne sent que moi,
si réel que je peux te toucher de mon doigt,
souvenir plus vivant que la réalité…
je te retrouverai toujours, c’est décidé ?
Je verrai donc toujours se dresser le point fixe
que fait ton ombre blanche et ton marbre léger,

(Il s’approche de la vision blême jusqu’à la toucher.)


sur tout ce que je vois, partout où tu t’immisces ?
Tu es venu, tu m’as parlé, tu m’as soufflé
les mots empoisonnés, les mots fanés… Eh bien,
sois pardonné pourtant de m’avoir tant parlé !
L’homme est heureux quand il a dit : Je me souviens.
Et n’es-tu pas le double exquis qu’elle a laissé
pour me veiller quand elle ne serait plus là…

(Il lui parle tendrement et familièrement.)