Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 8, 1922.djvu/356

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Armand, avez-vous quelquefois songé à ce qu’elle aurait été différente, notre vie, si nos parents avaient consenti à un mariage ?… La mienne en tout cas… Je n’aurais pas été du tout la même femme… Est-ce que le son de ma voix a beaucoup vieilli ?… Subsiste-t-il un peu de son timbre de jadis ?… Non, n’est-ce pas ?

JUSSIEUX.

Je vais vous dire une chose stupéfiante… je ne me souviens pas du tout de votre voix !… C’est la chose que le temps abolit le plus facilement. Je ne me souviens pas non plus, et même avec effort, de la voix de mon père, et je n’ai cessé de l’entendre qu’il y a une quinzaine d’années. Pourtant, oui, il me semble que votre voix a toujours ses mêmes nasales profondes de jadis… Attendez, je vais y repenser en fermant les yeux ! Dites « Nous passerons par l’écurie et nous ferons seller Basquine ! »

HONORINE.

Ah ! non, non ! Ce n’est pas de jeu… Vous choisissez la voix la plus ancienne… celle de notre enfance…

JUSSIEUX.

Dites, pour voir.

(Il ferme les yeux.)
HONORINE.

Armand !… Nous passerons par l’écurie et nous ferons seller Basquine… Pauvre Basquine, il y a beau temps qu’elle est morte…

JUSSIEUX.

Eh bien, je retrouve le son de votre voix, je vous jure. La preuve, c’est que je viens de revoir la paille fraîche, le coup de soleil sur les poules…