Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 8, 1922.djvu/366

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HONORINE.

Je crois qu’il a épousé sa cuisinière…

JUSSIEUX.

Zut !… Je n’ai pas de chance… dans mes évocations… Et votre amie Noëlle… et la vieille statue en plâtre du parc sur le socle de laquelle j’écrivais l’heure de nos rendez-vous ?…

HONORINE.

Toujours debout…

JUSSIEUX, (s’emballant.)

Brave fille ! Et le cours de danse… et la plage d’Houlgate… et votre noyade !… oui, oui ! tout est là, je vous dis… vivant… réel… Tout cela se ranime à mesure que nous en parlons !… Avons-nous assez ri ! Nous nous tenions toujours par la main !… Comment n’avons-nous pas fauté par exemple, nous aimant comme nous nous aimions… ça c’est incompréhensible !… Et comme nous avons eu tort de ne pas nous laisser aller à nos désirs ! Le voilà, tenez, le voilà, le pire des regrets… Oh ! n’avoir pas profité de nous… quand nous étions jeunes et beaux ! N’avoir fait que nous côtoyer, nous effleurer pendant les cinq ou six années les plus délicieuses de la vie !… N’avoir jamais franchi la barrière du désir !… Quelle sottise !… Ah ! oui, quelle sottise !

HONORINE.

Et au bénéfice de quoi… quand j’y songe… quand je juge maintenant la vie qui a suivi.

JUSSIEUX.

Avoir laissé passer la plus belle forme de nous-mêmes, ce moment si fugace de l’être humain, sans en jouir. Tout cela qui a été englouti horri-