Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 9, 1922.djvu/153

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absurde de vouloir être juste. Je n’ai pas perdu le sens des responsabilités, ne le crois pas. Non, je l’ai soumis, comme je le sentais, à des idées ou à des morales supérieures, mais sans doute ai-je trop présumé de mes forces ou de la clémence de la vie, et ne suis-je pas arrivé à mettre d’accord la vie et la pensée… Utopiste, ah ! fatal utopiste !… Savant naïf, mauvais critique, qui crois tenir les fils de la vie dans les quatre murs de la chambre où tu travailles en reclus ! Toi qui travailles au bien de toute une humanité, voilà ce que tu as fait de ton meilleur ami… de ta femme… de tous les tiens. Ah ! si j’étais seul à payer mon utopie et mon absurde optimisme ! Comme j’en serais ravi ! Il serait juste qu’une mathématique supérieure fût venue m’en punir à l’instant même où je sortais de la voie stricte. Mais il y a toi, mon ami !… toi, pour lequel je n’avais pas d’assez belles espérances, toi que j’aime, va, dont j’aurais tant souhaité le bonheur, oui, oui, ne ris pas lugubrement à ce mot !… Voilà que je te fais souffrir de dure façon, et cela me navre ! Ah ! j’aurais dû avoir le courage de mentir encore !… Je n’ai pas pu !… Je n’ai pas pu !… j’en suis désespéré !…

BLONDEL.

Il parle de mentir encore !… C’est le comble ! Il appelle encore le mensonge à son aide comme si ce n’était pas assez ! Je ne cherche pas à comprendre le mobile qui t’a poussé à cette combinaison infâme, je n’y arriverais pas !… C’est ou de l’ignominie ou de l’aberration pure !…

BOUGUET.

Non, je ne pouvais agir autrement ! Non, cent fois !