Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/136

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NETCHE, mettant son monocle et la regardant avec insolence.

Mademoiselle… Mademoiselle est actrice ?

GYSÈLE, aimable.

Pas encore.

NETCHE.

Vous êtes en train de lui faire un rôle, probablement c’est cela… Je vous le souhaite sincèrement très joli mademoiselle, et digne de vous… Mon cher ami Demieulle est loin d’être un imbécile… mais je n’aime pas beaucoup ce qu’il fait. Ses pièces manquent, vous savez, de ce que nous appelons d’un mot spécial, le… (Elle dit le mot en anglais.) vous n’avez qu’un seul mot en français un peu trop général, pour rendre ça : le cœur… N’est-ce pas ainsi qu’on dit ?

ANDRÉ, agacé, mettant la main sur le bouton de la porte.

Je suis bien fâché, croyez-moi, de ne pas avoir votre approbation.

NETCHE, avec hauteur.

Je n’aurai pas le plaisir de vous voir dans ce rôle, mademoiselle, mais, je vous le dis, je souhaite absolument que la pièce soit belle… n’est-ce pas, André ?… qu’elle soit gaie, et que la femme ne souffre pas trop à la fin.

ANDRÉ, tout à fait impatienté.

Ma chère Netche, vous m’excuserez, mais je suis un peu pressé aujourd’hui… Mademoiselle en sera quitte pour ne pas connaître vos idées littéraires. Elles ont leur intérêt d’ailleurs. (À Gysèle, en ricanant.) Vous le voyez, miss Netche a été élevée à l’école du cœur sur la main.

(Netche, qui allait sortir, se retourne, sa grosse face empourprée.)
NETCHE.

Mon cher, mon père était un gros Irlandais aux mains rouges ; il m’a élevée en effet solidement, à une époque où les hommes étaient d’une trempe virile, et on