Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/147

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NETCHE.

C’est ce que je dis… Le bail est consenti à longue échéance. C’est dans le tempérament des Françaises de ne pouvoir vivre seules… Ne discutons pas… Seulement, quand je serai à Londres, vous savez, ça se fait aussi bien qu’ici et plus rapidement, ces petites opérations !… et ça ne m’occasionnera pas de dérangement…

GENEVIÈVE, se balançant dans le rocking.

À moins que je ne prenne goût définitivement au voyage, et que je ne devienne, Netche, la solitaire des tables d’hôte… la dame en noir « qui a dû être jolie… » J’aime le voyage pour lui-même, le train, son dorlotement, son sommeil, avec le long chapelet des stations qu’on égrène… on n’est nulle part, hors du sol… c’est bon. Toute votre vie suit aux bagages… Être un peu comme ces employés de sleeping, dont j’ambitionne parfois la vie, avec leurs longues journées vides où ils n’ont qu’à regarder monter et descendre les fils télégraphiques, derrière la portière d’azur… Et je me sens déjà, Netche, cette dame en noir, qui a dû être si jolie et qui descendra sûrement demain à l’heure triste de la table d’hôte.

NETCHE.

C’est égal, mon âme pratique de Saxonne s’habitue mal à l’idée que ce qui vous sépare, c’est une faute imaginaire !… « Le Sganarelle imaginaire »… tiens, voilà pour lui !

GENEVIÈVE.

En tout cas, vous n’en pouviez nier l’efficacité ? Et puis ne dites pas de mal de mon mensonge. J’en suis très fière, vous savez ?

NETCHE, levant les bras au ciel.

Si je le sais !

GENEVIÈVE.

Et si jamais le bon Dieu — qui saura apprécier — me dispense du Purgatoire et me fait entrer au Paradis, ce ne sera jamais qu’à cause de ce petit mensonge-là.