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Page:Bauche - Le langage populaire, 1946.pdf/15

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PRÉFACE DE LA QUATRIÈME ÉDITION

La seconde guerre mondiale n’a pas apporté de changements dans la langue française, ni en particulier dans le langage populaire parisien et elle n’y a presque rien ajouté. On constate d’abord que les Allemands n’auront pas laissé de traces linguistiques. Sans doute, on parlera longtemps encore de « Kommandantur » et de « Gestapo », de « Stalag » et d’ « Oflag », mais ces mots ne sont pas entrés dans la langue ; ils n’expriment que des choses étrangères et transitoires, ils n’ont qu’un intérêt historique. Il n’y a eu aucune pénétration allemande dans la langue française, malgré quatre ans d’occupation, ce qui est assez surprenant : le nombre des mots germaniques entrés dans notre idiome au long de notre histoire est considérable, cela s’étant fait pacifiquement et au cours de guerres sur le sol national ou en territoire ennemi. Notons, en passant, que le terme « boche » a été assez peu employé à Paris, du mois de juin 1940 au mois d’août 1944. La raison en est le danger qu’il présentait : on risquait sa liberté et, peut-être, sa vie s’il était entendu par ceux à qui il s’appliquait. Les appellations « Fritz » et, plus rarement, « Fridolin » lui servirent de produits de remplacement (ersatz), car ils paraissaient moins choquer « ces messieurs », comme on les désigna souvent au début. On disait aussi quelquefois « chleu » dans les groupes de la Résistance.

D’autre part, la seconde grande guerre n’a pas non plus fait jaillir une floraison de langage militaire comparable à celle de la première, qui fut si riche et si variée et qui « s’intégra » (jargon politique, journalistique et collaborationniste de ces dernières années) dans la langue française. Il n’y a rien de tel cette fois-ci : les mobilisés, les combattants de 1939-1940, les prisonniers revenus de captivité, les maquisards, les insurgés de 1944 et les hommes de la nouvelle armée n’ont pas accru, en somme, le vocabulaire général. Il faut inscrire cependant la « riflette », terme à peu près inconnu autrefois, ainsi que le « casse-pipe » et le « baroud », qui existaient déjà mais étaient peu employés. Les véritables nouveautés militaires n’appartiennent pas au langage populaire, au parler des soldats, mais ce sont des expressions dues aux tristes chefs de 1940 : « colmater », de sinistre mémoire, ou au bas journalisme : « drôle de guerre », « le mur de l’Atlantique »…

La seule influence réelle que la deuxième guerre mondiale ait eue sur le langage populaire de Paris (et, par ricochet, dans la langue de la société polie) est due au fait du marché noir. La pègre, en effet, dès que cette occasion apparut de gagner de l’argent facilement et malhonnêtement, se jeta dessus. Les pires voyous firent des fortunes. De petits voleurs, de minces escrocs déjà plu-