Page:Baudeau - Première Introduction à la philosophie économique.djvu/119

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Cette multiplication excessive des travaux ou dépenses purement stériles qui se fait aux dépens des travaux utiles ou nécessaires à l’entretien de la production, est précisément ce qu’on doit appeller luxe dans les Gouvernements ou dans les personnes privées.

Car luxe veut dire excès de dépenses stériles. Qui dit excès suppose une regle, une mesure. Or il en est une physique, essentielle, évidente, et la voici : « Tout ce qui est nécessaire à l’entretien des avances souveraines de l’État, à celui des avances foncieres de tout héritage, à celui des avances primitives ou annuelles de toute exploitation productive, n’est pas disponible, c’est-à-dire, ne peut ni ne doit être consacré par qui que ce soit avec jouissances purement stériles ; il a son emploi marqué, [245] son usage indispensable. Le détourner de sa destination, c’est excéder la mesure du revenu disponible ». Telle est la véritable définition du luxe.

Son effet apparent est donc une espece de prospérité pour les arts stériles, un moment de plus grand bien-être pour ceux qui se livrent à ce luxe, ou qui profitent de ses profusions.

Mais son effet ultérieur, c’est de dégrader la production, de diminuer progressivement les récoltes par l’altération des cultures ou des autres exploitations productives, par la détérioration des propriétés foncieres, par la ruine, le trouble et la confusion des grandes propriétés communes, et de toutes les institutions sociales.

On ne doit donc plus se méprendre sur les caracteres du luxe public ou particulier. S’il procure aux États ou aux personnes privées un éclat passager, ce [246] n’est qu’en opérant et consommant leur ruine.

Une comparaison bien simple auroit dû faire sentir cette importante vérité. Le propriétaire d’un héritage bien entretenu, qui rapporte par an dix mille francs de revenus clairs et liquides, peut éclipser pendant deux ou trois ans dans une Capitale, par son faste et ses profusions, le sage propriétaire d’une terre de trente mille livres de rente, mais à condition qu’à la fin de ce terme, ses terres dégradées seront vendues par décret à la poursuite de ses créanciers, et qu’il ira mourir à l’hôpital.

Il en est de même des Empires. On peut par des emprunts, par des taxes exorbitantes, dépenser le fonds de l’État au lieu d’en dépenser le revenu, c’est-à-dire, attirer à la recette du fisc tout ce qui devroit servir à l’entretien, à l’amélioration des héritages