le plus doué de tous les talents utiles et agréables ; je dis plus, l’homme comblé d’or et d’argent, que le vulgaire a coutume de regarder en quelque sorte comme la seule richesse. Ce mortel si habile, si pécunieux, va mourir de faim sans vous avoir rendu le plus petit service, si vous n’avez pas à lui fournir des subsistances et des matieres premieres plus ou moins façonnées. C’est donc évidemment la masse des subsistances et des matieres premieres qui est tout : quiconque la posséderoit entiere auroit à sa disposition les talents et les travaux de tous les hommes qui composent toutes les classes de tous les États ; car enfin, jouir des subsistances par une consommation subite, et user des matieres façonnées par une consommation lente, partielle et successive, c’est-là ce qui fait la vie et le bien-être de tous les hommes, sans quoi la souffrance et la mort sont inévitables. C’est donc une erreur bien absurde en politique de substituer les hommes qui n’ont par eux-mêmes que des besoins aux productions naturelles annuellement récoltées, dont la jouissance remplit ces besoins. La classe entiere des mandataires du souverain a ses besoins à remplir ; elle a un droit légitimement acquis aux productions annuellement nécessaires pour cet objet. Donnez-lui sa portion en nature, ou donnez-lui-en la valeur en argent, ce qui revient au même pourvu que les productions existent et puissent être achetées : c’est à elle à trouver les hommes, et les choses utiles ; ne craignez pas qu’elle en manque. Ce n’est donc point sur les propriétaires fonciers que s’exerce le droit du souverain, c’est sur la reproduction totale annuelle de l’etat, qui contient la vie et le bien-être de tous les hommes, et qui renferme implicitement tous les travaux humains. Ce n’est, comme je l’ai fait voir, au préjudice de personne, mais c’est au contraire pour le bien de tous, que s’exerce ce droit si respectable. Nul homme ne pouvant rien payer au fonds qu’en subsistances ou en matieres premieres (car payer en travail personnel ou en argent monnoyé, c’est donner en paiement les subsistances et les matieres premieres que votre argent ou votre travail personnel vous procureroient), le souverain qui a prélevé, soit en nature soit en argent, sa part juste et raisonnable des subsistances et matieres premieres, est évidemment payé par avance.
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