Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/224

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selles elles-mêmes ne rougissaient pas d’aimer un peu le vin, comme le prouve l’aventure de celle que sa servante trouva en compagnie de Chapelle, tous deux pleurant à chaudes larmes après souper sur ce pauvre Pindare, mort par la faute des médecins ignorants. Au xviii"^ siècle, la tradition continue, mais s’altère un peu. L’école de Rétif boit, mais c’est déjà une école de parias, un monde souterrain. Mercier, très vieux, est rencontré rue du Goq- Honoré ; Napoléon est monté sur le xviiie siècle, Mercier est un peu ivre, et il dit qu’Une vit plus que par curiosité * . Aujourd’hui, l’ivrognerie littéraire a pris un caractère sombre et sinistre. Il n’y a plus de classe spécialement lettrée qui se fasse honneur de frayer avec les hommes de lettres. Leurs tra- vaux absorbants et les haines d’école les empêchent de se réunir entre eux. Quant aux femmes, leur éducation informe, leur incompétence politique et littéraire empêchent beaucoup d’auteurs de voir en elles autre chose que des ustensiles de ménage ou des objets de luxure. Le dîner absorbé et l’animal satisfait, le poêle entre dans la vaste solitude de sa pensée ; quelquefois il est très fatigué par le métier. Que devenir alors ? Puis, son esprit s’ac- coutume à l’idée de sa force invincible, et il ne peut plus résister à l’espérance de retrouver dans la boisson les visions calmes ou effrayantes qui sont déjà ses vieilles connaissances. C’est sans doute à la même transformation de mœurs, qui a fait du monde lettré une classe à part, qu’il faut attribuer l’immense consommation de tabac que fait la nou- velle littérature.

  • Victor Hugo connaissait-il ce mot ?