Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/235

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Ce ne sont pas seulement les probabilit(5s et les possibilités qui ont fortement allumé l’ardente curiosité de Poe, mais aussi les maladies de l’esprit. Bérénice est un admirable échantillon dans ce g-enre ; quelque invraisemblable et outré que ma sèche analyse la fasse paraître, je puis affirmer au lecteur que rien n’est plus log-ique et possible que cette affreuse histoire. Eg-œus et Bérénice sont cousins ; Egœus, pâle, acharné à la théosophie, chétif et abusant des forces de son esprit pour l’intellig-ence des choses abstruses ; Bérénice, folle et joueuse, toujours en plein air, dans les bois et le jardin, admirablement belle, d’une beauté lumi- neuse et charnelle. Bérénice est attaquée d’une mala- die mystérieuse et horrible désignée quelque part sous le nom assez bizarre de distorsion de person- nalité. On dirait qu’il est question d’hystérie... Elle subit aussi quelques attaques d’épilepsie, fréquem- ment suivies de léthargie, tout à fait semblables à la mort, et dont le réveil est généralement brusque et soudain. Cette’ admirable beauté s’en va, pour ainsi dire, en dissolution. Quanta Egœus, sa mala- die, pour parler, dit-il, le langage du vulgaire, est encore plus bizarre. Elle consiste dans une exa- gération de la puissance méditative, une irrita- tion morbide des facultés attentives. — « Per- dre de longues heures les yeux attachés à une phrase vulgaire, rester absorbé une grande jour- née d’été dans la contemplation d’une ombre sur le parquet, m’oublier une nuit entière à sur- veiller la flamme droite d’une lampe ou les braises du foyer, répéter indéfiniment un mot vulgaire jus- qu’à ce que le son cessât d’apporter à mon esprit une idée distincte, perdre tout sentiment de l’exis-