Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/241

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Gordon Pt/m, qui n’a pas eu un grand succès, est une histoire de navigateurs qui, après de rudes ava- ries, ontétéprisparles calmes dansles mers duSud. Le génie de l’auteur se réjouit dans ces terribles scènes et dansles étonnantes peinturesde peuplades et d’îles qui ne sont point marquées sur les cartes. L’exécution de ce livre est excessivement simple et minutieuse. D’ailleurs, il est présenté comme un livre de bord. Le navire est devenu ingouvernable ; les vivres et l’eau buvable sont épuisés ; les marins sont réduits au cannibalisme. Cependant, un brick €st signalé.

Nous n’aperçûmes personne à son bord jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un quart de mille de nous. Alors nous vîmes trois hommes qu’à leur costume nous prîmes pour des Hollandais. Deux d’entre eux étaieut couchés sur de vieilles voiles près du gaillard d’avant, et le troisième, qui paraissait nous regarder avec curiosité, ctaità l’avant, à tribord, près du beaupré. Ce dernier était un homme grand et vigoureux, avec la peau très noire. Il semblait, par ses gestes, nous encourager à prendre patience, nous faisant des signes qui nous semblaient pleins de joie, mais qui ne laissaient pas que d’être bizarres, et souriant immuablement, comme pour déployer une rangée de dents blanches très brillantes. Le navire approchant da- vantage, nous vîmes sou bonnet de laine rouge tomber de sa tôte dans Teau ; mais il n’y prit pas garde, conti- nuant toujours ses sourires et ses gestes baroques. Je rapporte toutes ces choses et ces circonstances minutieu- sement, et je les rapporte, cela doit être compris, préci- sément comme elles nous apparurent.

Le brick venait à nous lentement, et mettait mainte- nant le cap droit sur nous, et, — je ne puis parler de sang-froid de cette aventure, — nos cœurs sautaient follement au-dedans de nous, et nous répandions toutes