Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil aussi doux que la mort[1],
J’étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.
À mon destin, désormais mon délice,
J’obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë
Qui n’a jamais emprisonné de cœur.
XXXIX
À CELLE QUI EST TROP GAIE[2]
Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.
- ↑ Var. de la 1re éd. :
- Dans un sommeil douteux comme la mort.
- ↑ Pièce écrite pour « la Présidente ». V. ch. viii, Charles Baudelaire, étude biographique d’Eugène Crépet, revue et mise à jour par Jacques Crépet, suivie des Baudelairiana d’Asselineau, publiés pour la première fois in-extenso et de nombreuses lettres adressées à Baudelaire (Librairie Vanier, A. Messein, succ., Paris, mcmvii.)