Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/294

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d’allumer la lanterne ; le grand pourchasseur de rêves, sans cesse à la recherche de l’absolu ; lui, le personnage le plus curieux, le plus cocasse, le plus intéressant et le plus vaniteux des personnages de la Comédie humaine, lui, cet original aussi insupportable dans la vie que délicieux dans ses écrits, ce gros enfant bouffi de génie et de vanité, qui a tant de qualités et tant de travers que l’on hésite à retrancher les uns de peur de perdre les autres, et de gâter ainsi cette incorrigible et fatale monstruosité !

Qu’avait-il donc à être si noir, le grand homme ! pour marcher ainsi, le menton sur la bedaine, et contraindre son front plissé à se faire Peau de chagrin ?

Rêvait-il ananas à quatre sous, pont suspendu en fil de liane, villa sans escalier avec des boudoirs tendus en mousseline ? Quelque princesse, approchant de la quarantaine, lui avait-elle jeté une de ces œillades profondes que la beauté doit au génie ? ou son cerveau, gros de quelque machine industrielle, était-il tenaillé par toutes les Souffrances d’un inventeur ?

Non, hélas ! non ; la tristesse du grand homme était une tristesse vulgaire, terre à terre, ignoble et honteuse et ridicule ; il se trouvait dans ce cas mortifiant que nous connaissons tous, où chaque minute qui s’envole emporte sur ses ailes une chance de salut ; où, l’œil fixé sur l’horloge, le génie de l’invention sent la nécessité de doubler, tripler, décupler ses forces dans la proportion du temps qui diminue, et de la vitesse approchante de l’heure fatale. L’illustre auteur de la Théorie de la lettre de change avait le lendemain un billet de douze cents francs à payer, et la soirée était fort avancée.