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Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/30

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Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge,
Et condamner ton front pâli dans les travaux,
Si ces balances d’or n’ont pesé le déluge
De larmes qu’à la mer ont versé tes ruisseaux ?
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge ?

Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ?
Vierges au cœur sublime, honneur de l’Archipel,
Votre religion comme une autre est auguste,
Et l’amour se rira de l’Enfer et du Ciel !
Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ?

Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l’enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ;
Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre.

Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Comme une sentinelle à l’œil perçant et sûr,
Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,
Dont les formes au loin frissonnent dans l’azur ;
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,

Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,
Et parmi les sanglots dont le roc retentit,
Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne,
Le cadavre adoré de Sapho, qui partit
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !

De la mâle Sapho, l’amante et le poète,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !
— L’œil d’azur est vaincu par l’œil noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l’amante et le poète !

— Plus belle que Vénus se dressant sur le monde
Et versant les trésors de sa sérénité