Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/360

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gardez-vous du paradoxe en amour ; laissez les écoliers ivres de leur première pipe chanter à tue-tête les louanges de la femme grasse ; abandonnez ces mensonges aux néophytes de l’école pseudo-romantique. Si la femme grasse est parfois un charmant caprice, la femme maigre est un puits de voluptés ténébreuses !

Ne médisez jamais de la grande nature, et si elle vous a adjugé une maîtresse sans gorge, dites : « Je possède un ami — avec des hanches ! » et allez au temple rendre grâces aux dieux.

Sachez tirer parti de la laideur elle-même ; de la vôtre, cela est trop facile ; tout le monde sait que Trenk, la Gueule brûlée, était adoré des femmes ; de la sienne ! Voilà qui est plus rare et plus beau, mais que l’association des idées rendra facile et naturel. — Je suppose votre idole malade. Sa beauté a disparu sous l’affreuse croûte de la petite vérole, comme la verdure sous les lourdes glaces de l’hiver. Encore ému par les longues angoisses et les alternatives de la maladie, vous contemplez avec tristesse le stigmate ineffaçable sur le corps de la chère convalescente ; vous entendez subitement résonner à vos oreilles un air mourant exécuté par l’archet délirant de Paganini, et cet air sympathique vous parle de vous-même, et semble vous raconter tout votre poème intérieur d’espérances perdues. — Dès lors, les traces de petite vérole feront partie de votre bonheur, et chanteront toujours à votre regard attendri l’air mystérieux de Paganini. Elles seront désormais non seulement