Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/364

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mes ! absolu ! résultante des contraires ! Ormuz et Arimane, vous êtes le même ! »

Et c’est ainsi, grâce à une vue plus synthétique des choses, que l’admiration vous ramènera tout naturellement vers l’amour pur, ce soleil dont l’intensité absorbe toutes les taches.

Rappelez-vous ceci, c’est surtout du paradoxe en amour qu’il faut se garder. C’est la naïveté qui sauve, c’est la naïveté qui rend heureux, votre maîtresse fût-elle laide comme la vieille Mab, la reine des épouvantements ! En général, pour les gens du monde, — un habile moraliste l’a dit, — l’amour n’est que l’amour du jeu, l’amour des combats. C’est un grand tort ; il faut que l’amour soit l’amour ; le combat et le jeu ne sont permis que comme politique en cas d’amour.

Le tort le plus grave de la jeunesse moderne est de se monter des coups. Bon nombre d’amoureux sont des malades imaginaires qui dépensent beaucoup en pharmacopées, et payent grassement M. Fleurant et M. Purgon, sans avoir les plaisirs et les privilèges d’une maladie sincère. Notez bien qu’ils impatientent leur estomac par des drogues absurdes, et usent en eux la faculté digestive d’amour.

Bien qu’il faille être de son siècle, gardez-vous bien de singer l’illustre don Juan qui ne fut d’abord, selon Molière, qu’un rude coquin, bien stylé et affilié à l’amour, au crime et aux arguties ; — puis est devenu, grâce à M. M. Alfred de Musset et Théophile Gautier, un flâneur artistique, courant après la perfection à travers les mauvais lieux, et finalement n’est plus qu’un vieux dandy éreinté de tous ses voyages, et le plus sot du monde