Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/374

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l’écurie dont il est le plus bel ornement. La cause était entendue. Le marquis opina le premier ; il regarda l’accusation comme prouvée ; il vota pour la peine de mort. Tous ses valets se hâtèrent de se ralliera son avis ; la chose leur paraissait d’ailleurs une plaisanterie : ils se trompaient. Le marquis fit dresser dans sa cour une potence ; il adressa au condamné un prolixe discours, dans lequel il lui faisait fort bien sentir l’énormité de sa faute. Pendant ce morceau oratoire, le malheureux regardait l’instrument du supplice d’un œil ferme. Point d’affectation de courage, point d’abattement.

Dès que le marquis eut fini, un palefrenier passa avec dextérité une corde au cou du patient, et, quelques secondes après, la pauvre bête était suspendue en l’air, le cocher lui tirait les pieds, un laquais lui piétinait sur les épaules ; pendaison aussi en règle que celles dont la place de Grève offrait alors le spectacle presque journalier. Les assistants étaient frappés de stupeur.

Plus tard, le marquis de Briqueville s’engoua d’un charlatan qui lui promit de lui donner le moyen de voler. Le marquis n’y tenait plus ; il se voyait transformé en oiseau ; il planait déjà audessus des maisons de campagne ; il s’abattait où il voulait, il repartait à tire d’ailes ; les idées les plus couleur de rose lui bouleversaient la cervelle. On lui fabrique des ailes de carton, de toile, de fil de fer, appareil compUqué qui devait le porter au-dessus des nues. Dans son enthousiasme, il dédaigne des précautions trop terre à terre ; il s’affuble de son attirail et se lance aventureusement par sa croisée. Au lieu de monter avec la rapidité de l’aigle, il descend avec la vélocité d’un