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M. Guérin, rude et sévère envers son jeune élève, ne regarda le tableau qu’à cause du bruit qui se faisait autour.

Géricault, qui revenait d’Italie, et avait, dit-on, devant les grandes fresques romaines et florentines, abdiqué plusieurs de ses qualités presque originales, complimenta si fort le nouveau peintre, encore timide, que celui-ci en était presque confus.

Ce fut devant cette peinture, ou quelque temps après, devant les Pestiférés de Scio[1], que Gérard lui-même, qui, à ce qu’il semble, était plus homme d’esprit que peintre, s’écria : « Un peintre vient de nous être révélé, mais c’est un homme qui court sur les toits ! » — Pour courir sur les toits, il faut avoir le pied solide et l’œil illuminé par la lumière intérieure.

Gloire et justice soient rendues à MM. Thiers et Gérard.

Depuis le tableau de Dante et Virgile jusqu’aux peintures de la chambre des pairs et des députés, l’espace est grand sans doute ; mais la biographie d’Eugène Delacroix est peu accidentée. Pour un pareil homme, doué d’un tel courage et d’une telle passion, les luttes les plus intéressantes sont celles qu’il a à soutenir contre lui-même ; les horizons n’ont pas besoin d’être grands pour que les batailles soient importantes ; les révolutions et les événements les plus curieux se pas-

  1. Je mets pestiférés au lieu de massacre, pour expliquer aux critiques étourdis les tons des chairs si souvent reprochés.