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Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/107

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développement de ses muscles. C’est probablement de cette époque que datent la composition des Femmes d’Alger et une foule d’esquisses.

Jusqu’à présent on a été injuste envers Eugène Delacroix. La critique a été pour lui amère et ignorante ; sauf quelques nobles exceptions, la louange elle-même a dû souvent lui paraître choquante. En général, et pour la plupart des gens, nommer Eugène Delacroix, c’est jeter dans leur esprit je ne sais quelles idées vagues de fougue mal dirigée, de turbulence, d’inspiration aventurière, de désordre même ; et pour ces messieurs qui font la majorité du public, le hasard, honnête et complaisant serviteur du génie, joue un grand rôle dans ses plus heureuses compositions. Dans la malheureuse époque de révolution dont je parlais tout à l’heure, et dont j’ai enregistré les nombreuses méprises, on a souvent comparé Eugène Delacroix à Victor Hugo. On avait le poëte romantique, il fallait le peintre. Cette nécessité de trouver à tout prix des pendants et des analogues dans les différents arts amène souvent d’étranges bévues, et celle-ci prouve encore combien l’on s’entendait peu. À coup sûr la comparaison dut paraître pénible à Eugène Delacroix, peut-être à tous deux ; car si ma définition du romantisme (intimité, spiritualité, etc.) place Delacroix à la tête du romantisme, elle en exclut naturellement M. Victor Hugo. Le parallèle est resté dans le domaine banal des idées convenues, et ces deux préjugés encombrent encore beaucoup de têtes faibles. Il faut en finir