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VIII

DE QUELQUES DESSINATEURS

Dans le chapitre précédent, je n’ai point parlé du dessin imaginatif ou de création, parce qu’il est en général le privilège des coloristes. Michel-Ange, qui est à un certain point de vue l’inventeur de l’idéal chez les modernes, seul a possédé au suprême degré l’imagination du dessin sans être coloriste. Les purs dessinateurs sont des naturalistes doués d’un sens excellent ; mais ils dessinent par raison, tandis que les coloristes, les grands coloristes, dessinent par tempérament, presque à leur insu. Leur méthode est analogue à la nature ; ils dessinent parce qu’ils colorent, et les purs dessinateurs, s’ils voulaient être logiques et fidèles à leur profession de foi, se contenteraient du crayon noir. Néanmoins ils s’appliquent à la couleur avec une ardeur inconcevable, et ne s’aperçoivent point de leurs contradictions. Ils commencent par délimiter les formes d’une manière cruelle et absolue, et veulent ensuite remplir ces espaces. Cette méthode double contrarie sans cesse leurs efforts, et donne à toutes leurs productions je ne sais quoi d’amer, de pénible et de contentieux. Elles sont un procès éternel, une dualité fatigante. Un dessinateur est un coloriste manqué.

Cela est si vrai que M. Ingres, le représentant le