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Jésus-Christ, et celui-ci, sec et mesquin, ne rend pas du tout la physionomie originale, anguleuse, moqueuse et flottante du modèle. — Du reste, il ne faut pas croire que ces gens-là manquent de science. Ils sont érudits comme des vaudevillistes et des académiciens ; ils mettent à contribution toutes les époques et tous les genres ; ils ont approfondi toutes les écoles. Ils transformeraient volontiers les tombeaux de Saint-Denis en boîtes à cigares ou à cachemires, et tous les bronzes florentins en pièces de deux sous. Pour avoir de plus amples renseignements sur les principes de cette école folâtre et papillonnante, il faudrait s’adresser à M. Klagmann, qui est, je crois, le maître de cet immense atelier.

Ce qui prouve bien l’état pitoyable de la sculpture, c’est que M. Pradier en est le roi. Au moins celui-ci sait faire de la chair, et il a des délicatesses particulières de ciseau ; mais il ne possède ni l’imagination nécessaire aux grandes compositions, ni l’imagination du dessin. C’est un talent froid et académique. Il a passé sa vie à engraisser quelques torses antiques, et à ajuster sur leurs cous des coiffures de filles entretenues. La Poésie légère paraît d’autant plus froide qu’elle est plus maniérée ; l’exécution n’en est pas aussi grasse que dans les anciennes œuvres de M. Pradier, et, vue de dos, l’aspect en est affreux. Il a de plus fait deux figures de bronze, — Anacréon et la Sagesse, — qui sont des imitations impudentes de l’antique, et qui prouvent bien que sans cette noble béquille M. Pradier chancellerait à chaque pas.