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Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/199

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les usages qui leur conviennent, et cherchent à se faire un caractère par un système d’emprunts contradictoires.

Il y a des gens qui voleront un morceau dans un tableau de Rembrandt, le mêleront à une œuvre composée dans un sens différent sans le modifier, sans le digérer et sans trouver la colle pour le coller.

Il y en a qui changent en un jour du blanc au noir : hier, coloristes de chic, coloristes sans amour ni originalité ; demain, imitateurs sacriléges de M. Ingres, sans y trouver plus de goût ni de foi.

Tel qui rentre aujourd’hui dans la classe des singes, même des plus habiles, n’est et ne sera jamais qu’un peintre médiocre ; autrefois, il eût fait un excellent ouvrier. Il est donc perdu pour lui et pour tous.

C’est pourquoi il eût mieux valu dans l’intérêt de leur salut, et même de leur bonheur, que les tièdes eussent été soumis à la férule d’une foi vigoureuse ; car les forts sont rares, et il faut être aujourd’hui Delacroix ou Ingres pour surnager et paraître dans le chaos d’une liberté épuisante et stérile.

Les singes sont les républicains de l’art, et l’état actuel de la peinture est le résultat d’une liberté anarchique qui glorifie l’individu, quelque faible qu’il soit, au détriment des associations, c’est-à-dire des écoles.

Dans les écoles, qui ne sont autre chose que la force d’invention organisée, les individus vraiment dignes de ce nom absorbent les faibles ; et c’est justice, car une large production n’est qu’une pensée à mille bras.