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Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/201

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Il est vrai que la grande tradition s’est perdue, et que la nouvelle n’est pas faite.

Qu’était-ce que cette grande tradition, si ce n’est l’idéalisation ordinaire et accoutumée de la vie ancienne ; vie robuste et guerrière, état de défensive de chaque individu qui lui donnait l’habitude des mouvements sérieux, des attitudes majestueuses ou violentes. Ajoutez à cela la pompe publique qui se réfléchissait dans la vie privée. La vie ancienne représentait beaucoup ; elle était faite surtout pour le plaisir des yeux, et ce paganisme journalier a merveilleusement servi les arts.

Avant de rechercher quel peut être le côté épique de la vie moderne, et de prouver par des exemples que notre époque n’est pas moins féconde que les anciennes en motifs sublimes, on peut affirmer que puisque tous les siècles et tous les peuples ont eu leur beauté, nous avons inévitablement la nôtre. Cela est dans l’ordre.

Toutes les beautés contiennent, comme tous les phénomènes possibles, quelque chose d’éternel et quelque chose de transitoire, — d’absolu et de particulier. La beauté absolue et éternelle n’existe pas, ou plutôt elle n’est qu’une abstraction écrémée à la surface générale des beautés diverses. L’élément particulier de chaque beauté vient des passions, et comme nous avons nos passions particulières, nous avons notre beauté.

Excepté Hercule au mont Œta, Caton d’Utique et Cléopâtre, dont les suicides ne sont pas des suicides modernes[1], quels suicides voyez-vous dans les tableaux

  1. Celui-ci se tue parce que les brûlures de sa robe deviennent