Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rin, Girodet, Gros, Delacroix, Bonington, illumine encore d’une lumière charitable sa chétive personne ; et, pendant que de bons poëtes, de vigoureux historiens gagnent laborieusement leur vie, le financier abêti paye magnifiquement les indécentes petites sotises de l’enfant gâté. Remarquez bien que, si cette faveur s’appliquait à des hommes méritants, je ne me plaindrais pas. Je ne suis pas de ceux qui envient à une chanteuse ou à une danseuse, parvenue au sommet de son art, une fortune acquise par un labeur et un danger quotidiens. Je craindrais de tomber dans le vice de feu Girardin, de sophistique mémoire, qui reprochait un jour à Théophile Gautier de faire payer son imagination beaucoup plus cher que les services d’un sous-préfet. C’était, si vous vous en souvenez bien, dans ces jours néfastes où le public épouvanté l’entendit parler latin ; pecudesque locutæ ! Non, je ne suis pas injuste à ce point ; mais il est bon de hausser la voix et de crier haro sur la bêtise contemporaine, quand, à la même époque où un ravissant tableau de Delacroix trouvait difficilement acheteur à mille francs, les figures imperceptibles de Meissonier se faisaient payer dix fois et vingt fois plus. Mais ces beaux temps sont passés ; nous sommes tombés plus bas, et M. Meissonier, qui, malgré tous ses mérites, eut le malheur d’introduire et de populariser le goût du petit, est un véritable géant auprès des faiseurs de babioles actuels.

Discrédit de l’imagination, mépris du grand, amour