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Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/285

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peintures plus importantes d’Eugène Delacroix nous attirent et nous réclament, j’ai trouvé bon, mon cher M***, de citer tout d’abord deux noms inconnus ou peu connus. La fleur oubliée ou ignorée ajoute à son parfum naturel le parfum paradoxal de son obscurité, et sa valeur positive est augmentée par la joie de l’avoir découverte. J’ai peut-être tort d’ignorer entièrement M. Legros, mais j’avouerai que je n’avais encore vu aucune production signée de son nom. La première fois que j’aperçus son tableau, j’étais avec notre ami commun, M. C…, dont j’attirai les yeux sur cette production si humble et si pénétrante. Il n’en pouvait pas nier les singuliers mérites ; mais cet aspect villageois, tout ce petit monde vêtu de velours, de coton, d’indienne et de cotonnade que l’Angelus rassemble le soir sous la voûte de l’église de nos grandes villes, avec ses sabots et ses parapluies, tout voûté par le travail, tout ridé par l’âge, tout parcheminé par la brûlure du chagrin, troublait un peu ses yeux, amoureux, comme ceux d’un bon connaisseur, des beautés élégantes et mondaines. Il obéissait évidemment à cette humeur française qui craint surtout d’être dupe, et qu’a si cruellement raillée l’écrivain français qui en était le plus singulièrement obsédé. Cependant l’esprit du vrai critique, comme l’esprit du vrai poëte, doit être ouvert à toutes les beautés ; avec la même facilité il jouit de la grandeur éblouissante de César triomphant et de la grandeur du pauvre habitant des faubourgs incliné sous le regard de son Dieu. Comme les voilà bien