Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/299

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« Est-ce bien là l’incube qui oppresse le sein des belles ?… Ce personnage est-il le partenaire disproportionné pour lequel soupire Pastorella, dans la plus étroite des couchettes virginales ? La platonique Amanda (qui est tout âme), fait-elle donc, quand elle disserte sur l’Amour, allusion à cet être trop palpable, qui est tout corps ? Et Bélinda croit-elle, en vérité, que ce Sagittaire ultra-substantiel puisse être embusqué dans son dangereux œil bleu ?

« La légende raconte qu’une fille de Provence s’amouracha de la statue d’Apollon et en mourut. Mais demoiselle passionnée délira-t-elle jamais et se dessécha-t-elle devant le piédestal de cette monstrueuse figure ? ou plutôt ne serait-ce pas un emblème indécent qui servirait à expliquer la timidité et la résistance proverbiale des filles à l’approche de l’Amour ?

Je crois facilement qu’il lui faut tout un cœur pour lui tout seul ; car il doit le bourrer jusqu’à la réplétion. Je crois à sa confiance ; car il a l’air sédentaire et peu propre à la marche. Qu’il soit prompt à fondre, cela tient à sa graisse, et s’il brûle avec flamme, il en est de même de tous les corps gras. Il a des langueurs comme tous les corps d’un pareil tonnage, et il est naturel qu’un si gros soufflet soupire.

« Je ne nie pas qu’il s’agenouille aux pieds des dames, puisque c’est la posture des éléphants ; qu’il jure que cet hommage sera éternel ; certes il serait malaisé de concevoir qu’il en fût autrement. Qu’il meure, je n’en fais aucun doute, avec une pareille