Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/304

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Ce terrible résumé suffit. Nous savons tous assez l’histoire romaine pour nous figurer tout ce qui est sous-entendu, le désordre qui a précédé et le tumulte qui a suivi. Nous devinons Rome derrière cette muraille, et nous entendons les cris de ce peuple stupide et délivré, à la fois ingrat envers la victime et envers l’assassin : « Faisons Brutus César ! » Reste à expliquer, relativement à la peinture elle-même, quelque chose d’inexplicable. César ne peut pas être un maugrabin ; il avait la peau très-blanche ; il n’est pas puéril, d’ailleurs, de rappeler que le dictateur avait autant de soin de sa personne qu’un dandy raffiné. Pourquoi donc cette couleur terreuse dont la face et le bras sont revêtus ? J’ai entendu alléguer le ton cadavéreux dont la mort frappe les visages. Depuis combien de temps, en ce cas, faut-il supposer que le vivant est devenu cadavre ? Les promoteurs d’une pareille excuse doivent regretter la putréfaction. D’autres se contentent de faire remarquer que le bras et la tête sont enveloppés par l’ombre. Mais cette excuse impliquerait que M. Gérome est incapable de représenter une chair blanche dans une pénombre, et cela n’est pas croyable. J’abandonne donc forcément la recherche de ce mystère. Telle qu’elle est, et avec tous ses défauts, cette toile est la meilleure et incontestablement la plus frappante qu’il nous ait montrée depuis longtemps.

Les victoires françaises engendrent sans cesse un grand nombre de peintures militaires. J’ignore ce que