Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/310

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seconde phase de cette époque. Il a mis un doigt d’eau dans son vin ; mais il peint et il compose toujours avec énergie et imagination. Il y a une fatalité dans les enfants de cette école victorieuse. Le romantisme est une grâce, céleste ou infernale, à qui nous devons des stigmates éternels. Je ne puis jamais contempler la collection des ténébreuses et blanches vignettes dont Nanteuil illustrait les ouvrages des auteurs, ses amis, sans sentir comme un petit vent frais qui fait se hérisser le souvenir. Et M. Baron, n’est-ce pas là aussi un homme curieusement doué, et, sans exagérer son mérite outre mesure, n’est-il pas délicieux de voir tant de facultés employées dans de capricieux et modestes ouvrages ? Il compose admirablement, groupe avec esprit, colore avec ardeur, et jette une flamme amusante dans tous ses drames ; drames, car il a la composition dramatique et quelque chose qui ressemble au génie de l’opéra. Si j’oubliais de le remercier, je serais bien ingrat ; je lui dois une sensation délicieuse. Quand, au sortir d’un taudis, sale et mal éclairé, un homme se trouve tout d’un coup transporté dans un appartement propre, orné de meubles ingénieux et revêtu de couleurs caressantes, il sent son esprit s’illuminer et ses fibres s’apprêter aux choses du bonheur. Tel le plaisir physique que m’a causé l’Hôtellerie de Saint-Luc. Je venais de considérer avec tristesse tout un chaos, plâtreux et terreux, d’horreur et de vulgarité, et, quand je m’approchai de cette riche et lumineuse peinture, je sentis mes entrailles crier : Enfin, nous voici dans la