Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/349

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bares dans lesquelles la sculpture est enfermée qu’elle réclame, en même temps qu’une exécution très-parfaite, une spiritualité très-élevée. Autrement elle ne produira que l’objet étonnant dont peuvent s’ébahir le singe et le sauvage. Il en résulte aussi que l’œil de l’amateur lui-même, quelquefois fatigué par la monotone blancheur de toutes ces grandes poupées, exactes dans toutes leurs proportions de longueur et d’épaisseur, abdique son autorité. Le médiocre ne lui semble pas toujours méprisable, et, à moins qu’une statue ne soit outrageusement détestable, il peut la prendre pour bonne ; mais une sublime pour mauvaise, jamais ! Ici, plus qu’en toute autre matière, le beau s’imprime dans la mémoire d’une manière indélébile. Quelle force prodigieuse l’Egypte, la Grèce, Michel-Ange, Coustou et quelques autres ont mise dans ces fantômes immobiles ! Quel regard dans ces yeux sans prunelle ! De même que la poésie lyrique ennoblit tout, même la passion, la sculpture, la vraie, solennise tout, même le mouvement ; elle donne à tout ce qui est humain quelque chose d’éternel et qui participe de la dureté de la matière employée. La colère devient calme, la tendresse sévère, le rêve ondoyant et brillanté de la peinture se transforme en méditation solide et obstinée. Mais si l’on veut songer combien de perfections il faut réunir pour obtenir cet austère enchantement, on ne s’étonnera pas de la fatigue et du découragement qui s’emparent souvent de notre esprit en parcourant les galeries des sculptures modernes, où le but divin est