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Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/370

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auteur, — un chrétien, sans doute, — qui considère comme certain que le Sage y regarde de bien près avant de se permettre de rire, comme s’il devait lui en rester je ne sais quel malaise et quelle inquiétude, et, en second lieu, le comique disparaît au point de vue de la science et de la puissance absolues. Or, en inversant les deux propositions, il en résulterait que le rire est généralement l’apanage des fous, et qu’il implique toujours plus ou moins d’ignorance et de faiblesse. Je ne veux point m’embarquer aventureusement sur une mer théologique, pour laquelle je ne serais sans doute pas muni de boussole ni de voiles suffisantes ; je me contente d’indiquer au lecteur et de lui montrer du doigt ces singuliers horizons.

Il est certain, si l’on veut se mettre au point de vue de l’esprit orthodoxe, que le rire humain est intimement lié à l’accident d’une chute ancienne, d’une dégradation physique et morale. Le rire et la douleur s’expriment par les organes où résident le commandement et la science du bien ou du mal : les yeux et la bouche. Dans le paradis terrestre (qu’on le suppose passé ou à venir, souvenir ou prophétie, comme les théologiens ou comme les socialistes), dans le paradis terrestre, c’est-à-dire dans le milieu où il semblait à l’homme que toutes les choses créées étaient bonnes, la joie n’était pas dans le rire. Aucune peine ne l’affligeant, son visage était simple et uni, et le rire qui agite maintenant les nations ne déformait point les traits de sa face. Le rire et les larmes ne peuvent pas se faire voir dans le paradis