Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/408

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vière ; derrière lui tous les gros bonnets de la ville, en uniforme, bien frisés, bien sanglés, bien attifés, les moustaches en croc et gonflés d’orgueil ; il doit y avoir là-dedans des dandys bourgeois qui vont monter leur garde ou réprimer l’émeute avec un bouquet de violettes à la boutonnière de leur tunique ; enfin, un idéal de garde bourgeoise, comme disait le plus célèbre de nos démagogues. À genoux devant la civière, enveloppé dans sa robe de juge, la bouche ouverte et montrant comme un requin la double rangée de ses dents taillées en scie, F. C. promène lentement sa griffe sur la chair du cadavre qu’il égratigne avec délices. — Ah ! le Normand ! dit-il, il fait le mort pour ne pas répondre à la Justice !

C’était avec cette même fureur que la Caricature faisait la guerre au gouvernement. Daumier joua un rôle important dans cette escarmouche permanente. On avait inventé un moyen de subvenir aux amendes dont le Charivari était accablé ; c’était de publier dans la Caricature des dessins supplémentaires dont la vente était affectée au payement des amendes. À propos du lamentable massacre de la rue Transnonain, Daumier se montra vraiment grand artiste ; le dessin est devenu assez rare, car il fut saisi et détruit. Ce n’est pas précisément de la caricature, c’est de l’histoire, de la triviale et terrible réalité. — Dans une chambre pauvre et triste, la chambre traditionnelle du prolétaire, aux meubles banals et indispensables, le corps d’un ouvrier nu, en chemise et en bonnet de coton, gît sur le dos, tout de