Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/417

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comédien, écrivain, caricaturiste. La seconde est qu’il a un talent essentiellement bourgeois. Comédien, il était exact et froid ; écrivain, vétilleux ; artiste, il avait trouvé le moyen de faire du chic d’après nature.

Il est juste la contre-partie de l’homme dont nous venons de parler. Au lieu de saisir entièrement et d’emblée tout l’ensemble d’une figure ou d’un sujet, Henri Monnier procédait par un lent et successif examen des détails. Il n’a jamais connu le grand art. Ainsi Monsieur Prudhomme, ce type monstrueusement vrai, Monsieur Prudhomme n’a pas été conçu en grand. Henri Monnier l’a étudié, le Prudhomme vivant, réel ; il l’a étudié jour à jour, pendant un très-long espace de temps. Combien de tasses de café a dû avaler Henri Monnier, combien de parties de dominos, pour arriver à ce prodigieux résultat, je l’ignore. Après l’avoir étudié, il l’a traduit ; je me trompe, il l’a décalqué. A première vue, le produit apparaît comme extraordinaire ; mais quand tout Monsieur Prudhomme a été dit, Henri Monnier n’avait plus rien à dire. Plusieurs de ses Scènes populaires sont certainement agréables ; autrement il faudrait nier le charme cruel et surprenant du daguerréotype ; mais Monnier ne sait rien créer, rien idéaliser, rien arranger. Pour en revenir à ses dessins, qui sont ici l’objet important, ils sont généralement froids et durs, et, chose singulière ! il reste une chose vague dans la pensée, malgré la précision pointue du crayon. Monnier a une faculté étrange, mais il n’en a qu’une. C’est la froideur, la limpidité du miroir, d’un miroir qui ne