Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/419

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ville, j’éprouve un certain malaise, comme dans un appartement où le désordre serait systématiquement organisé, où des corniches saugrenues s’appuieraient sur le plancher, où les tableaux se présenteraient déformés par des procédés d’opticien, où les objets se blesseraient obliquement par les angles, où les meubles se tiendraient les pieds en l’air, et où les tiroirs s’enfonceraient au lieu de sortir.

Sans doute Grandville a fait de belles et bonnes choses, ses habitudes têtues et minutieuses le servant beaucoup ; mais il n’avait pas de souplesse, et aussi n’a-t-il jamais su dessiner une femme. Or c’est par le côté fou de son talent que Grandville est important. Avant de mourir, il appliquait sa volonté, toujours opiniâtre, à noter sous une forme plastique la succession des rêves et des cauchemars, avec la précision d’un sténographe qui écrit le discours d’un orateur. L’artiste-Grandville voulait, oui, il voulait que le crayon expliquât la loi d’association des idées. Grandville est très-comique ; mais il est souvent un comique sans le savoir.

Voici maintenant un artiste, bizarre dans sa grâce, mais bien autrement important. Gavarni commença cependant par faire des dessins de machines, puis des dessins de modes, et il me semble qu’il lui en est resté longtemps un stigmate ; cependant il est juste de dire que Gavarni a toujours été en progrès. Il n’est pas tout à fait un caricaturiste, ni même uniquement un artiste, il est aussi un littérateur. Il effleure, il fait deviner. Le caractère particulier de son comique est une