Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/117

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qui s’éteint derrière un rideau d’azur), sur ces fonds magiques, imitant diversement les feux de Bengale, s’enlève l’image variée de la beauté interlope. Ici majestueuse, là légère, tantôt svelte, grêle même, tantôt cyclopéenne ; tantôt petite et petillante, tantôt lourde et monumentale. Elle a inventé une élégance provoquante et barbare, ou bien elle vise, avec plus ou moins de bonheur, à la simplicité usitée dans un meilleur monde. Elle s’avance, glisse, danse, roule avec son poids de jupons brodés qui lui sert à la fois de piédestal et de balancier ; elle darde son regard sous son chapeau, comme un portrait dans son cadre. Elle représente bien la sauvagerie dans la civilisation. Elle a sa beauté qui lui vient du Mal, toujours dénuée de spiritualité, mais quelquefois teintée d’une fatigue qui joue la mélancolie. Elle porte le regard à l’horizon, comme la bête de proie ; même égarement, même distraction indolente, et aussi, parfois, même fixité d’attention. Type de bohème errant sur les confins d’une société régulière, la trivialité de sa vie, qui est une vie de ruse et de combat, se fait fatalement jour à travers son enveloppe d’apparat. On peut lui appliquer justement ces paroles du maître inimitable, de La Bruyère : « Il y a dans quelques femmes une grandeur artificielle attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va pas plus loin. »

Les considérations relatives à la courtisane peuvent jusqu’à un certain point, s’appliquer à la comédienne ;