Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/143

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ne se réfléchissent qu’à travers un milieu de vapeurs.

Chenavard n’est pas peintre ; il méprise ce que nous entendons par peinture. Il serait injuste de lui appliquer la fable de La Fontaine (ils sont trop verts pour des goujats) ; car je crois que, quand bien même Chenavard pourrait peindre avec autant de dextérité que qui que ce soit, il n’en mépriserait pas moins le ragoût et l’agrément de l’art.

Disons tout de suite que Chenavard a une énorme supériorité sur tous les artistes : s’il n’est pas assez animal, ils sont beaucoup trop peu spirituels.

Chenavard sait lire et raisonner, et il est devenu ainsi l’ami de tous les gens qui aiment le raisonnement ; il est remarquablement instruit et possède la pratique de la méditation.

L’amour des bibliothèques s’est manifesté en lui dès sa jeunesse ; accoutumé tout jeune à associer une idée à chaque forme plastique, il n’a jamais fouillé des cartons de gravures ou contemplé des musées de tableaux que comme des répertoires de la pensée humaine générale. Curieux de religions et doué d’un esprit encyclopédique, il devait naturellement aboutir à la conception impartiale d’un système syncrétique.

Quoique lourd et difficile à manœuvrer, son esprit a des séductions dont il sait tirer grand profit, et s’il a longtemps attendu avant de jouer un rôle, croyez bien que ses ambitions, malgré son apparente bonhomie, n’ont jamais été petites.

(Premiers tableaux de Chenavard : — M. de Dreux-