Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/163

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peut-être, et si par hasard il s’en souvient, je suis bien sûr qu’il ne lui serait pas agréable de voir remuer ce fatras de lycéen. Il n’y a pas d’homme qui pousse plus loin que lui la pudeur majestueuse du vrai homme de lettres, et qui ait plus d’horreur d’étaler tout ce qui n’est pas fait, préparé et mûri pour le public, pour l’édification des âmes amoureuses du Beau. N’attendez jamais de lui des mémoires, non plus que des confidences, non plus que des souvenirs, ni rien de ce qui n’est pas la sublime fonction.

Il est une considération qui augmente la joie que j’éprouve à rendre compte d’une idée fixe, c’est de parler enfin, et tout à mon aise, d’un homme inconnu. Tous ceux qui ont médité sur les méprises de l’histoire ou sur ses justices tardives, comprendront ce que signifie le mot inconnu, appliqué à Théophile Gautier. Il remplit, depuis bien des années, Paris et la province du bruit de ses feuilletons, c’est vrai ; il est incontestable que maint lecteur, curieux de toutes les choses littéraires, attend impatiemment son jugement sur les ouvrages dramatiques de la dernière semaine ; encore plus incontestable que ses comptes rendus des Salons, si calmes, si pleins de candeur et de majesté, sont des oracles pour tous les exilés qui ne peuvent juger et sentir par leurs propres yeux. Pour tous ces publics divers, Théophile Gautier est un critique incomparable et indispensable ; et cependant il reste un homme inconnu. Je veux expliquer ma pensée.

Je vous suppose interné dans un salon bourgeois et