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un remplaçant. Ainsi Pierre Dupont commença sa vie, pour ainsi dire publique, par se racheter de l’esclavage par la poésie. Ce sera pour lui un grand honneur et une grande consolation d’avoir, jeune, forcé la Muse à jouer un rôle utile, immédiat, dans sa vie.

Ce même livre, incomplet, souvent incorrect, d’une allure indécise, contient cependant, ainsi que cela arrive généralement, le germe d’un talent futur qu’une intelligence élevée pouvait, à coup sûr, pronostiquer. Le volume obtint un prix à l’Académie, et Pierre Dupont eut dès lors une petite place en qualité d’aide aux travaux du Dictionnaire. Je crois volontiers que ces fonctions, quelque minimes qu’elles fussent en apparence, servirent à augmenter et perfectionner en lui le goût de la belle langue. Contraint d’entendre souvent les discussions orageuses de la rhétorique et de la grammaire antique aux prises avec la moderne, les querelles vives et spirituelles de M. Cousin avec M. Victor Hugo, son esprit dut se fortifier à cette gymnastique, et il apprit ainsi à connaître l’immense valeur du mot propre. Ceci paraîtra peut-être puéril à beaucoup de gens, mais ceux-là ne se sont pas rendu compte du travail successif qui se fait dans l’esprit des écrivains, et de la série des circonstances nécessaires pour créer un poëte.

Pierre Dupont se conduisit définitivement avec l’Académie comme il avait fait avec la maison de banque. Il voulut être libre, et il fit bien. Le poëte doit vivre par lui-même ; il doit, comme disait Honoré de Balzac,