Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/22

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« Cependant ses opérations les plus délicates se font par un sentiment auquel un long exercice a donné une sûreté inqualifiable. On voit que cette grande loi d’harmonie générale condamne bien des papillotages et bien des crudités, même chez les peintres les plus illustres. Il y a des tableaux de Rubens qui non seulement font penser à un feu d’artifice coloré, mais même à plusieurs feux d’artifice tirés sur le même emplacement. Plus un tableau est grand, plus la touche doit être large, cela va sans dire ; mais il est bon que les touches ne soient pas matériellement fondues ; elles se fondent naturellement à une distance voulue par la loi sympathique qui les a associées. La couleur obtient ainsi plus d’énergie et de fraîcheur.

«Un bon tableau, fidèle et égal au rêve qui l’a enfanté, doit être produit comme un monde. De même que la création, telle que nous la voyons, est le résultat de plusieurs créations dont les précédentes sont toujours complétées par la suivante, ainsi un tableau, conduit harmoniquement, consiste en une série de tableaux superposés, chaque nouvelle couche donnant au rêve plus de réalité et le faisant monter d’un degré vers la perfection. Tout au contraire, je me rappelle avoir vu dans les ateliers de Paul Delaroche et d’Horace Vernet de vastes tableaux, non pas ébauchés, mais commencés, c’est-à-dire absolument finis dans de certaines parties, pendant que certaines autres n’étaient encore indiquées que par un contour noir ou blanc. On pourrait comparer ce genre d’ouvrage à un travail