Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/241

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voluptueux, qui, pour me servir de l’expression de Liszt, « sont ici posés comme deux termes, et qui, dans le finale, trouvent leur équation ». Le Chant des pèlerins apparaît le premier, avec l’autorité de la loi suprême, comme marquant tout de suite le véritable sens de la vie, le but de l’universel pèlerinage, c’est-à-dire Dieu. Mais comme le sens intime de Dieu est bientôt noyé dans toute conscience par les concupiscences de la chair, le chant représentatif de la sainteté est peu à peu submergé par les soupirs de la volupté. La vraie, la terrible, l’universelle Vénus se dresse déjà dans toutes les imaginations. Et que celui qui n’a pas encore entendu la merveilleuse ouverture de Tannhäuser ne se figure pas ici un chant d’amoureux vulgaires, essayant de tuer le temps sous les tonnelles, les accents d’une troupe enivrée jetant à Dieu son défi dans la langue d’Horace. Il s’agit d’autre chose, à la fois plus vrai et plus sinistre. Langueurs, délices mêlées de fièvre et coupées d’angoisses, retours incessants vers une volupté qui promet d’éteindre, mais n’éteint jamais la soif ; palpitations furieuses du cœur et des sens, ordres impérieux de la chair, tout le dictionnaire des onomatopées de l’amour se fait entendre ici. Enfin le thème religieux reprend peu à peu son empire, lentement, par gradations, et absorbe l’autre dans une victoire paisible, glorieuse comme celle de l’être irrésistible sur l’être maladif et désordonné, de saint Michel sur Lucifer.

Au commencement de cette étude, j’ai noté la puis-