Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/253

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et les prétentions de la musique. Peu content du pouvoir qu’elle exerce sur les cœurs en y réveillant toute la gamme des sentiments humains, il lui rend possible d’inciter nos idées, de s’adresser à notre pensée, de faire appel à notre réflexion, et la dote d’un sens moral et intellectuel… Il dessine mélodiquement le caractère de ses personnages et de leurs passions principales, et ces mélodies se font jour, dans le chant ou dans l’accompagnement, chaque fois que les passions et les sentiments qu’elles expriment sont mis en jeu. Cette persistance systématique est jointe à un art de distribution qui offrirait, par la finesse des aperçus psychologiques, poétiques et philosophiques dont il fait preuve, un intérêt de haute curiosité à ceux aussi pour qui les croches et doubles croches sont lettres mortes et purs hiéroglyphes. Wagner, forçant notre méditation et notre mémoire à un si constant exercice, arrache, par cela seul, l’action de la musique au domaine des vagues attendrissements et ajoute à ses charmes quelques-uns des plaisirs de l’esprit. Par cette méthode qui complique les faciles jouissances procurées par une série de chants rarement apparentés entre eux, il demande une singulière attention du public ; mais en même temps il prépare de plus parfaites émotions à ceux qui savent les goûter. Ses mélodies sont, en quelque sorte, des personnifications d’idées ; leur retour annonce celui des sentiments que les paroles qu’on prononce n’indiquent point explicitement ; c’est à elles que Wagner confie de nous révéler tous les secrets des cœurs. Il est