Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/255

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s’était écrié une fois : « Je passerai cette infranchissable barrière, dussé-je lutter toute l’éternité ! » Et l’éternité avait accepté le défi de l’audacieux navigateur. Depuis lors, le fatal navire s’était montré çà et là, dans différentes plages, courant sus à la tempête avec le désespoir d’un guerrier qui cherche la mort ; mais toujours la tempête l’épargnait, et le pirate lui-même se sauvait devant lui en faisant le signe de la croix. Les premières paroles du Hollandais, après que son vaisseau est arrivé au mouillage, sont sinistres et solennelles : « Le terme est passé ; il s’est encore écoulé sept années ! La mer me jette à terre avec dégoût… Ah ! orgueilleux Océan ! dans peu de jours il te faudra me porter encore !… Nulle part une tombe ! nulle part la mort ! telle est ma terrible sentence de damnation… Jour du jugement, jour suprême, quand luiras-tu dans ma nuit ?… » À côté du terrible vaisseau un navire norwégien a jeté l’ancre ; les deux capitaines lient connaissance, et le Hollandais demande au Norwégien « de lui accorder pour quelques jours l’abri de sa maison… de lui donner une nouvelle patrie". Il lui offre des richesses énormes dont celui-ci s’éblouit, et enfin lui dit brusquement : « As-tu une fille ?… Qu’elle soit ma femme !… Jamais je n’atteindrai ma patrie. À quoi me sert donc d’amasser des richesses ? Laisse-toi convaincre, consens à cette alliance et prends tous mes trésors. » — « J’ai une fille, belle, pleine de fidélité, de tendresse, de dévouement pour moi. » — « Qu’elle conserve toujours à son père cette tendresse