Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/257

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une femme fidèle… Les voiles au vent ! levez l’ancre ! Faux amour, faux serments ! Alerte ! en mer ! sans relâche, sans repos ! » Et tout d’un coup, sortant d’un abîme de rêverie, Senta inspirée s’écrie : « Que je sois celle qui te délivrera par sa fidélité ! Puisse l’ange de Dieu me montrer à toi ! C’est par moi que tu obtiendras ton salut ! » L’esprit de la jeune fille est attiré magnétiquement par le malheur ; son vrai fiancé, c’est le capitaine damné que l’amour seul peut racheter.

Enfin, le Hollandais paraît, présenté par le père de Senta ; il est bien l’homme du portrait, la figure légendaire suspendue au mur. Quand le Hollandais, semblable au terrible Melmoth qu’attendrit la destinée d’Immalée, sa victime, veut la détourner d’un dévouement trop périlleux, quand le damné plein de pitié repousse l’instrument du salut, quand, remontant en toute hâte, sur son navire, il la veut laisser au bonheur de la famille et de l’amour vulgaire, celle-ci résiste et s’obstine à le suivre : « Je te connais bien ! je connais ta destinée ! Je te connaissais lorsque je t’ai vu pour la première fois ! » Et lui, espérant l’épouvanter : « Interroge les mers de toutes les zones, interroge le navigateur qui a sillonné l’Océan dans tous les sens ; il connaît ce vaisseau, l’effroi des hommes pieux : on me nomme le Hollandais volant ! » Elle répond, poursuivant de son dévouement et de ses cris le navire qui s’éloigne : « Gloire à ton ange libérateur ! gloire à sa loi ! Regarde et vois si je te suis fidèle jusqu’à la mort ! » Et elle se précipite à la mer. Le navire s’engloutit. Deux formes